3/5 - HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER (Une histoire plus ou moins vraie)
Henry, portrait d'un serial killer (1986) est un film qui retrace un épisode de la vie de Henry Lee Lucas, un célèbre tueur en série américain. Comme le titre le dit assez bien, cette réalisation, signée John McNaughton, fait le portrait psychologique de Lucas. De ce point de vue, Henry, portrait d'un serial killer est un des films les plus justes, voir le film qui décrit le mieux la psychologie et le comportement d'un serial killer.
Au contraire, l'histoire n'est absolument pas fidèle aux faits. On ne parle pas là de quelques libertés prises par les scénaristes (McNaughton et Richard Fire), mais bien d'un remaniement intégral de la réalité. Mais cela n'est pas grave, tout dépend ce que l'on cherche. Il est d'ailleurs à parier que la majorité des gens qui ont vu le film ne connaissait pas les faits exacts et n'a donc vu que du feu.
Henry, portrait d'un serial killer est un récit plutôt lent, dans le rythme des films des années 80. Le résultat est relativement soft, ponctuée de deux ou trois images marquantes de cadavres, mais ne sombrant jamais dans le gore. McNaughton s'est appliqué à créer une ambiance et à poser les personnages, et la suggestion a été préférée aux effusions d'hémoglobine. On pense particulièrement aux bruits quelques peu désagréables d'un corps se faisant dépecer. On imagine très (trop) bien la scène …
McNaughton signait à cette époque le premier des six films qu'il a réalisés pour le cinéma. Le septième, The Harvest, sortira en 2013. Il a notamment réalisé le sympathique Sexcrimes (1998).
Henry Lucas est interprété par Michael Rooker, un acteur qui débute alors au cinéma, mais que l'on reverra régulièrement par-ci par-là, surtout dans des thrillers, des films d'action ou d'horreur. On l'a vu ensuite dans Mississipi Burning, JFK, puis alpiniste aux côtés de Stallone dans Cliffhanger, en flic casse-couilles dans Bone Collector et, en ce moment, dans le rôle de Merle, dans la série The Walking Dead.
Ottis Toole, est interprété par un Tom Towles qui à l'air d'avoir 20 ans de plus, quand on sait qu'il n'a que 36 ans à l'époque. On va le retrouver ensuite dans quelques bons films d'horreur comme le remake de Tom Savini de La nuit des morts-vivants et dans trois réalisations de Rob Zombie, The Devil's Rejects, Halloween et sa fausse-bande annonce Werewolf Women of the SS. Mais Towles ne se limitera pas au genre horrifique.
Une suite, Henry, portrait d'un serial killer 2, est sortie en 1996, mais a passé plus ou moins inaperçu.
Je l'ai dit au début de cet article, le film de McNaughton s'éloigne énormément de la réalité. Cette "infidélité" se termine en apothéose avec la fin du film. Mais pour en parler, il faut revenir un peu sur l'histoire d'Henry Lee Lucas et d'Ottis Toole., et passer par du spoiler, au niveau du film. Alerte donc à ceux qui seraient intéressés à voir le film, sans en connaître le dénouement et les principaux éléments.
[LOURD SPOILER/on]
Comme je le disais, la principale divergence entre le récit et les faits réels se trouve tout à la fin. Plus précisément lorsque Henry tue Ottis. Lorsque l'on interroge Ottis Toole à ce sujet, celui-ci dit que c'est impossible, que cela ne se peut pas, qu'Henry ne l'aurait jamais tué. Il faut dire qu'Ottis Toole est relativement limité et qu'il ne discerne pas bien la différence entre un film et la réalité. Toole comme Lucas ont un QI plus bas que la moyenne, comme la plupart des serial killers, aux alentours de 70-80.
[LOURD SPOILER/off]
[LEGER SPOILER/on]
Par contre, le film fait l'omission d'une des grandes caractéristiques d'Ottis Toole : son amour pour la chaire humaine et sa célèbre sauce BBQ. En effet, Ottis Toole aimait apparemment beaucoup composer ses repas avec les restes de leurs victimes.
Dans le film, Becky vient perturber la dynamique du couple Lucas-Toole. En fait, dans le contexte du film, on devrait plutôt parler de tandem, car aucune relation amoureuse n'est suggérée. Au contraire, dans la réalité, les deux hommes forment un couple homosexuel. Mais dans le film, la jeune Becky va se mettre entre les deux hommes, plus ou moins volontairement. Au début, cela pourrait être mis sur le compte d'une attirance amoureuse entre Henry et Becky, mais on verra à la fin que ce n'est pas le cas. On le pressent déjà à un moment du film où Becky lui dit qu'elle l'aime et où Lucas lui répond : "I guess I love you too", soit "j'imagine que je t'aime également". Cette finalité est cohérente avec la personnalité d'un psychopathe qui est incapable de ressentir le moindre sentiment. Il peut savoir qu'une chose est bien ou mal, parce qu'on le lui a dit, mais sans comprendre pourquoi. Un être humain n'a pas vraiment plus d'importance qu'une voiture. C'est un objet qui permet d'attendre un ou plusieurs objectifs. Ils ne montrent d'ailleurs aucun remord pour ce qu'ils font. Cela dit, Henry Lee Lucas a effectivement dit être tombé amoureux de Becky, mais on ne sait pas vraiment ce que cela signifie pour lui. A cette époque, en 1979, Lucas a 43 ans, alors que Becky n'en a que 12.
Le film n'indique pas non plus le nombre de victimes du tandem. On est conscient qu'il y en a eu plusieurs, mais sans pouvoir dire combien. Peut-être 10, ou 20. En réalité, Henry Lucas est soupçonné de 157 meurtres, dont 108 perpétrés avec Ottis Toole. Très manipulateur, Lucas va en avouer une multitude d'autres, pour ralentir les procédures judiciaires et fausser les pistes. Au final, on ne saura jamais combien de personnes ils ont tué exactement. Lucas a été jugé et condamné pour bon nombre de ces meurtres, mais beaucoup n'iront pas en procès pour des questions financières et d'images médiatiques. Surtout qu'à partir d'un moment, il devient inutile d'accumuler les peines de mort et de perpétuité.
[LEGER SPOILER/off]
Biographies succinctes
Henry Lee Lucas
Henry est né en 1936 en Virginie (USA). Son père est amputé suite à un accident de train (et pas à cause d'un camion, comme dans le film). Sa mère est une femme repoussante qui ne se lave jamais. Cela ne l'empêche pas de se prostituer. Elle écarte les jambes pour 50 cents et oblige toute sa famille à regarder.
Sa mère habille Henry comme une fille et lui laisse pousser de longs cheveux bouclés. Suite à deux accidents successifs, Henry devient borgne. Comme dit plus haut, des tests révèlent un QI en-dessous de la moyenne. Il montre deux facettes. Il est parfois souriant et sociable et parfois renfermé et terne. En prison, se révèlent chez lui des tendances homosexuelles, aussi bien passives qu'actives.
Comme évoqué dans le film, il tue effectivement sa mère, avec un couteau, alors qu'il a 24 ans. Alors qu'il purge sa peine en prison, il est transféré quelques temps en hôpital psychiatrique, après plusieurs tentatives de suicide. Il purge finalement 10 ans sur les 20 de sa condamnation. Après à peine plus de un an il retourne en prison, cette fois pour 3 an et demi. Il est condamné pour deux tentatives de kidnapping.
Contre toute attente, Henry se marie en décembre 1975. Sa femme, Betty Crawford est touchée par la manière dont il s'occupe de ses deux filles. La pauvre Betty juge mal le bonhomme, puisque celui-ci va ensuite régulièrement violer les deux fillettes.
Toute sa vie, Henry ne cesse de bouger, de déménager et de repartir sur la route. Il ne garde jamais un travail plus de quelques jours. En 1979, alors qu'il séjourne à Jacksonville (Fl), il tombe sur Ottis Toole, qu'il a rencontré par le passé, dans un bar de Pennsylvanie. Le duo est formé et la chasse va commencer.
Ottis Toole
Ottis est né en 1947, à Jacksonville. Son père est alcoolique et sa grand-mère est sataniste, alors que sa mère semble plutôt équilibrée. En effet, à 5 ans, sa grand-mère, une sorcière sataniste, l'emmène déterrer des cadavres dans des cimetières. Ottis est un garçon attardé (QI de 75) et très timide, toujours dans les jupons de sa maman.
Il est initié au sexe par sa sœur Drusilla, elle-même dépucelée à l'âge de 10 ans. Il est également abusé par son père, puis son beau-père. Pour en rajouter une couche, Drusilla le prostitue alors qu'il est âgé de 6 ans. C'est ce qu'on peut appeler une enfance difficile.
Très jeune déjà, Ottis Toole est obnubilé par le feu. Il ressent une profonde excitation en allumant des feux et en les observant. Evidemment, plus le feu est grand et plus l'excitation est forte. Il allume donc des incendies.
A 8 ans, Ottis commence aussi à boire beaucoup d'alcool et à prendre des drogues. A 12 ans, il est envoyé en maison de correction pour vol de bicyclette. Il est ensuite arrêté à 17 ans pour prostitution (3 mois d'emprisonnement), puis pour vol de batterie de voiture (90 jours) et encore pour vol de voiture (2 ans). Il alterne donc des périodes de liberté très courtes et des séjours en prison plus ou moins longues. A 25 ans, il a déjà 13 condamnations à son actif. A 14 ans, Ottis Toole commet son premier meurtre.
Entre temps, sa sœur Drusilla a trois enfants dont Lorraine "Becky" Powell (1967), la Becky que l'on retrouve un peu différemment dans le film. Ottis, lui, se marie, mais sa femme s'en va après seulement trois jours, à cause de ses tendances homosexuelles.
En 1974, à 27 ans, Ottis Toole part sur la route. C'est un serial killer nomade, comme Lucas, qui aime bouger.
En 1977, Ottis Toole se remarie, avec une femme de 24 ans sont ainée. Cependant, il continue à ramener des hommes dans le lit conjugal.
En février 1979, il retrouve Henry Lee Lucas, qu'il ramène chez lui et à qui il propose de rester. Ils vont alors découvrir qu'ils partagent une passion commune, celle du meurtre.
Lucas et Toole
Lorsqu'ils tuent, les deux hommes sont souvent accompagnés de Becky et de son frère Franck Jr. Les cadavres sont régulièrement violés par les deux hommes. Ottis aime également cuir de la chair au barbecue et la déguster avec sa sauce maison, devenue célèbre de manière quelque peu macabre. Cela dit il affirme qu'elle est bonne sur toutes les viandes. Ils prétendent aussi avoir tué de nombreuses victimes pour une secte appelée The Hand of Death (La main de la mort), mais dont on ne trouva jamais aucune trace.
Après la mort de Drusilla, Becky part sur la route avec Lucas. Toole se sent alors totalement abandonné. Pour compenser, il tue et allume des incendies. A la fin 1982, Lucas est intercepté seul par la police. Il est soupçonné pour le meurtre d'une vieille femme pour laquelle il a travaillé avec Becky. Becky est quant à elle introuvable.
Il avoue, en 1983, avoir tué beaucoup de gens, dont Becky Powell. Il avoue une centaine de crimes, avant de se rétracter pour ne garder que celui de sa mère. Il sera ensuite jugé et condamné à de multiples peines. En 1998, George Bush Jr commue sa peine de mort à la perpétuité, une étonnante décision dans un état comme le Texas, pro peine de mort. La raison fut que le témoignage de Lucas manquait de preuves.
Toole est quant à lui déjà en prison à ce moment-là, à cause de deux complices incendiaires qui l'ont dénoncé. Après les aveux de Lucas, il confirme ses dires et signes ses propres aveux. Il est lui aussi jugé et condamné à des peines de mort et de réclusions à perpétuité. Il est mort en 1996, au pénitencier de Florida State Prison, pas du bras vengeur de la justice, mais suite à une maladie du foie liée au sida. Lucas est lui mort d'une crise cardiaque, dans sa cellule, en 2001.
Sources :
Le livre noir des serial killers, Stéphane Bourgoin, Grasset (2004)
Les serial killers sont parmi nous, Stéphane Bourgoin, Albin Michel (2003)
Deux livres que je conseille fortement pour tous ceux qui s'intéressent aux tueurs en série, comme d'ailleurs tous les livres de Stéphane Bourguoin sur le genre.